vendredi 20 mai 2011

Le droit de travers

16/03/2011 à 23h57 3032 vues | lien

Plaideurs, avocats, huissiers, experts... Un monde à part 
La justice expliquée aux enfants ou le droit de travers

Une belle chose, la Justice! des magistrats parfois excellents et courageux (sans parler spécifiquement d'Eva), des greffiers idem, cela varie certes beaucoup mais bon... Et un dysfonctionnement ou plus exactement un fonctionnement sous forme de film à suspense éprouvant ou de labyrinthe qui paraît sans issue, palliable certes mais à quel prix. La justice ou pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Soit une petite ville de province aimable et ensoleillée où tout le monde se connaît, se salue, se sourit (mais différemment selon des classes castes)... et parfois médit, mais gentiment, ça va de soi. Soit des aventures abracadabrantesques qui vous tombent dessus, fréquent hélas si vous êtes un out sider ou quasiment, parti depuis longtemps et revenu de "peu", surtout si vous êtes femme et n'avez pas d'homme attitré sur place et en place... et refusez toutes les propositions qui affluent pour peu que vous ayiez deux yeux, un seul nez à peu près au milieu de la figure et des abatis plus ou moins en poste.  Et ça donne un procès qui, contrairement au poncif, vaut parfois mieux que des négociations usantes, vaines et longuettes, car dans cette ville le temps ne se mesure pas de la même manière qu'ailleurs (par exemple, "bientôt on va réparer les dégâts qu'on vous a causé" -une broutille, votre maison se démolit- peut vouloir dire "dans 20 ans ou jamais"; "rendez-vous à 2 heures" peut signifier "3, 4"... ou un lapin.) C'est ainsi, on s'y fait, la montagne est belle etc...

Mais là, ça se complique. En vrac :  l'avocat sympa que vous avez diligenté, (votre ami avocat se trouvant en vacances) se trouve être l'employé du frère de votre partie adverse, triple zut ! et de plus, à la veille du référé, il s'avère qu'il n'a pas lu le dossier, mais alors pas du tout, zéro. Vous le virez (gentiment) mais vous l'avez déjà payé, quadruple zut. Vous courrez chez un autre qui vous fait hautement comprendre qu'il est bien bon de vous recevoir au pied levé, ne vous écoute pas mais se fait tout de même payer d'avance (une partie) juste pour demander le report. Accepté, ouf. Vient enfin l'audience un mois après. Il vous convoque la veille (il n'a pas pris vos appels durant tout le temps ni apparemment lu vos courriels) alléluia, mais c'est pour se faire payer. Vous n'avez cependant pas perdu votre temps : sa secrétaire vous a photocopié (car il était en retard) le dossier que vous n'aviez jamais eu, il n'avait pas songé à vous le donner ni vous à l'exiger, forcément puisque vous ne l'avez pas vu.  Vous sortez donc et vous attablez à une terrasse en face pour lire et là, c'est comme dans "les experts", l'illumination, un élément fondamental inconnu vous saute aux yeux. Génial ! Avec ça, vous avez gagné. Vous foncez chez l'avocat pour le lui signaler (visiblement il ne l'a pas vu) et il vous reçoit très hard, "je n'ai pas que ça à faire" etc. Vous insistez tout de même, c'est pour demain matin, et lui indiquez la page de l'élément qu'il devra plaider, que vous cornez pour plus de sécurité. Il consent, il en parlera demain, promis juré (en vous escortant à la porte et vous poussant légèrement pour que vous dégagiez plus vite.)

... Sauf que le lendemain au tribunal, il n'est pas là. Angoisse. Le voilà enfin qui surgit avec une heure de retard, les yeux encore rouges. Perdu, il ne sait plus où il a mis sa sacoche, vous la lui indiquez etc. Audience. Une assez bonne plaidoirie courtissime mais il oublie l'élément fondamental. Vous le rajoutez oralement, il n'est pas trop content mais bon. Et en plein milieu d'un discours, il glisse quelque chose à son confrère de la partie adverse que vous ne comprenez pas (mais vous n'osez pas les couper) et poursuit fissa. C'est la juge qui interrompt . En fait, il s'est tout simplement entendu avec lui pour que vous payiez à demi les frais d'une expertise censée être dirigée contre vous ! Vous refusez évidemment; raté. Mais ça ne fait rien, tout baigne, les points essentiels sont gagnés, le reste n'est que détail et en plus l'expert à 3000 € (?) au bout de 2 mois (?) pond un rapport qui vous donne raison. Ouf. Puis un second, idem. Puis un troisième (que vous ne lisez même pas en entier, ça commence à bien faire)... dans lequel il a ajouté juste une petite phrase sournoise à la fin qui remet tout en question. Rapport inutilisable donc. Précision : il a été payé par votre partie adverse. Raquer si cher pour se faire aligner, il a dû y avoir des cris et chuchotements... mais 3000 € pour ne rien dire,  c'est dur. Au moins n'est-ce pas vous qui les avez déboursés.

Votre partie adverse réattaque sur un autre point. Là, c'est coton, vous devez vous défendre et pour cela hélas, même si un avocat n'est pas nécessaire (vous commencez à vous y connaître et vous y avez laissé déjà 3000 € pour RIEN OU PLUTÔT POUR DU PIRE) vous devez rédiger l'assignation et passer par un huissier (l'assignation est la lettre de convocation à la partie adverse.) Qu'à cela ne tienne, le net n'est pas fait pour les chiens et vous pondez un document à peu près convenable, aidée par le tribunal. Sauf que d'huissier, vous ne trouvez pas. Rien, zéro. L'un est en vacances, l'autre absent, la troisième a déjà été celle de votre partie adverse, la quatrième aussi (il semble qu'ils aient pas mal écumé!), un cabinet de groupe fonctionne avec un numéro surfacturé qui vous renvoie à un répondeur... lequel suavement vous annonce à 10 h droit dans ses bottes qu'il ne sera répondu aux appels que de 9 heures à midi etc... et le clou, c'est un qui vous renvoie à un numéro de portable, au bout duquel se trouve un clerc (?) gentil mais perdu qui vous fait perdre temps et argent. Certains vous disent carrément que dans la mesure où vous n'avez pas d'avocat, n'est-ce pas, ils ne peuvent "vous" prendre. Jour J moins 2, vous voilà quasiment forclos.

... Jusqu'à ce que, Dieu est grand, l'un accepte enfin, pas tout près mais baste. Il le fait aimablement, mais oublie de l'enrôler, ou il pense que c'est vous qui le ferez (enrôler veut dire l'apporter au tribunal) si bien que l'affaire, le lendemain, est reportée. Il faudra une autre assignation... qu'il prétend vous faire payer plein pot (100 €). Vous marchandez, il consent à vous en enlever 60, soit. Mais évidemment, lorsque vous le recontactez ensuite, il est absent. A nouveau, c'est le parcours du combattant mais là ça devient plus chaud car comptant sur lui, vous n'avez pas regardé vos mails de la journée et perdu le vendredi entier. A nouveau, personne ne veut se charger de votre affaire  ("sans avocat, comprenez-vous" etc)...  En désespoir de cause, sur les conseils d'un lointain ami juriste, vous appelez le président de la chambre des huissiers. Là, on vous raccroche d'abord au nez. Vous rappelez, et annoncez à la secrétaire raccrocheuse que vous allez devoir saisir le procureur de la carence des TOUS les huissiers territorialement compétents. C'est le sésame. Elle vous donne un bon numéro, vous vous expliquez... et un quart d'heure après, miracle, l'assignation est délivrée. (Peut-être l'eût-elle été de toutes manières, vous ne le saurez jamais et il ne faut tout de même pas désespérer de la nature humaine). Ce coup-ci, c'est 60 €, mystère de la tarification des "exploits", car lorsqu'un huissier se déplace, c'est un exploit, plus ou moins important si l'on en juge par le coût, sans doute relié à la longueur de ses jambes ou à sa vélocité.

Seulement il vous faut l'apporter vous-même au tribunal. Rien de grave, un coup de voiture (40 km) ... mais arrivée au tribunal (il est 15 heures, donc bien loin des 17 heures fatidiques) un planton rien moins qu'aimable vous dit "c'est fermé". L'affaire ne sera donc pas "enrôlée" pour la deuxième fois? Un troisième "exploit" à payer? Vous hésitez entre le suicide et le meurtre lorsqu'une greffière vous crie (car le cerbère vous bloque) derrière sa vitre "c'est pour quoi?"... "Un référé"... "Pour quand?"... "Demain"... Elle appelle sa collègue et vous pouvez enfin passer, donner votre dossier ouf.

Une question simple: les avocats semblent (je dis bien semblent) comme on dit "s'arranger" les uns les autres, ce qui leur économise (parfois) de lire les dossiers voire d'agir (ainsi une jeune avocate désireuse de se placer qui durant une audience n'ouvrit pas la bouche devant un confrère... qui quelque temps l'engagea dans son cabinet). Les huissiers "semblent" je dis bien semblent, vous pousser à l'épaule vers les avocats... lesquels vous poussent également vers des constats (ou des expertises) ça va avec, quant aux experts, certains mettent des mois, après une visite rapide dans mètre ni viseur, pour rédiger un rapport qui ne veut strictement rien dire sauf son prix, 3000 €...

Et parfois, malgré tout, justice est rendue. Et ça, c'est un exploit en effet. Quel homme ou femme sans instruction peut espérer y avoir accès s'il n'a pas des moyens conséquents, ce qui en général ne va pas avec? La question est là : compliquée intentionnellement, faite pour les riches ou ceux qui peuvent s'adapter à ses arcanes, quelles que soient l'éthique et la conscience professionnelle des magistrats, elle favorise de fait les nantis et décourage et dégoûte les autres. C'est ainsi dans certaines régions que des margoulins règnent et leurs victimes se laissent exploiter sans mot dire.

Le lendemain, à 9 heures pétantes, vous croisez sur le parvis l'avocat de la partie adverse souriant et élégant qui vous annonce que l'affaire sera renvoyée car il n'a pas pu préparer le dossier. L'assignation était pourtant identique à celle que vous lui aviez envoyée quinze jours auparavant mais c'est la procédure. Lui s'en va aussitôt, pas vous qui devez attendre l'appel des cas jusqu'au vôtre. Pas longtemps, une heure ou deux seulement. Mais vous n'aurez pas à repayer une troisième fois une assignation.
http://ledroitdetravers.blogspot.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire